Mise en place des CP REP + à Paris : De quoi s’inquiéter

 

Suite à l’insistance de l’équipe qui maintient son choix et le justifie, le DASEN se déplace à l’école fin juin. À l’issue d’échanges marqués à la fois d’une écoute réelle de sa part et de menaces voilées, un compromis est trouvé avec une structure retournant aux anciens cycles : CP-CE1 d’un côté, CE2-CM de l’autre, étant entendu que les CP-CE1 sont à 12. La cohérence du travail de l’école sur le long terme n’est pas remise en cause (voire est reconnue) même si la fin de l’année scolaire est difficile : la pression hiérarchique a généré d’importantes tensions dans l’équipe (plusieurs interventions de l’inspectrice, utilisation de certains parents, jusqu’à la venue du DASEN). Les cycles ne semblent plus du tout une priorité de l’administration…
En parallèle, les collègues des écoles voisines se retrouvent également en attente de « validation » de leurs structures pour la prochaine rentrée, alors qu’il n’est pas question de classes multi-âges, ni même de se plaindre de la perte de leur maitre supplémentaire.
Cette histoire de CP à 12 semble présager d’inquiétants changements dans notre métier. Jusqu’alors, la structure pédagogique de l’école était de sa seule responsabilité : « arrêtée par le directeur après avis du conseil des maitres » (Code de l’Éducation, L. IV, D411-7). Voilà que maintenant elle devrait être « validée ».
Tout cela ne repose sur aucun texte règlementaire. Les CP à 12 ne sont qu’un discours électoral d’E. Macron repris sous forme d’ordre aux DASEN par le ministre. Les inspections académiques en sont réduites à parler de « mesure ministérielle ». On nous demande d’anticiper des textes qui « devraient être publiés bientôt », en opposition aux programmes en vigueur définis par cycles.
Le dispositif des CP à 12 ne s’appelle pas « 100 % de réussite en CP » pour rien : les élèves seront testés toute l’année et les enseignants devront rendre des comptes. C’est le retour de l’idée de juger les professeurs selon les résultats de leurs élèves que N. Sarkozy avait tenté de mettre en place. Les évaluations porteront sur une lecture de type b-a, ba ; les enfants devront savoir « déchiffrer » en fin d’année, c’est obligatoire sinon ça ne fera pas « 100 % de réussite » — alors que les élèves hors REP+ devraient, selon les programmes, disposer de tout le cycle pour devenirs lecteurs, ce qui est tout à fait différent. On marche sur la tête. S’il existe effectivement des débats pédagogiques portant sur la façon d’apprendre à lire, la « querelle des méthodes » a toujours été un argument purement politique. La « méthode globale » n’a jamais été pratiquée massivement en France, on voit mal comment elle pourrait être responsable de « ravages ». Le fondement de la « méthode syllabique » est l’a priori, démenti par les premiers apprentissages (marcher, parler…), que l’on apprend en allant du plus simple au plus complexe, et que l’élève va jusqu’où il peut en fonction de ses « dons » ou de son « capital culturel ». Ainsi, chacun-e reste à sa place et la hiérarchie sociale est consolidée. Un-e adulte, même bon « déchiffreur/euse » et « comprenant » qui n’a pas eu un accès précoce à la culture de l’écrit dans sa richesse risquera d’être perdu-e face à un document administratif compliqué et sera rebuté-e par le livre.
Aujourd’hui, le ministre relance la querelle en s’appuyant sur les neurosciences. Celles-ci sont peut-être capables de décrire ce qui se passe neurologiquement lors d’un instant de lecture, mais pas de rendre compte des processus d’apprentissage dans la durée. Alors que les recherches sur l’apprentissage de la lecture s’appuyaient souvent sur les études décrivant l’acquisition du langage, les neurosciences arrivent au se-cours du syllabique puisque c’est tout ce qu’elles peuvent mesurer.
Enfin, cerise sur le gâteau : le ministère justifie le dispositif par une étude universitaire dans laquelle les chercheurs montraient comment en 2010 le MEN avait biaisé les enquêtes à ce sujet pour, justement, nier les effets bénéfiques de classes avec moins d’élèves et légitimer ainsi les suppressions de postes. Le ministre était L. Châtel et le directeur général du cabinet un certain… J.-M. Blanquer. Il ne s’agit évidemment pas de se plaindre d’une baisse des effectifs dans les classes. Il y a en revanche de quoi s’inquiéter fortement de ce que cette « bonne nouvelle » porte avec elle, tant sur le fond (liberté pédagogique, évaluation des enseignant-es) que sur la forme (mesure imposée au mépris des textes réglementaires à coup d’injonctions et de pressions).