Lettre ouverte aux maires de France

 

Depuis des mois, les enseignants, de façon globale, sont régulièrement pointés du doigt et accusés d’être de vilains petits canards par l’ensemble des défenseurs de cette réforme, qu’ils soient députés, élus locaux, membres d’organisations pro-gouvernementales, ou association de parents d’élèves.

Pourquoi nous accuser, au mieux, d’être des oiseaux de mauvaise augure et au pire d’être les détenteurs de visions réactionnaires ?

Pourquoi sans cesse vouloir nous taper dessus au seul prétexte que nous ne disons pas oui à tout et sans condition ?

Pourquoi ne pas vouloir nous écouter lorsque nous émettons notre avis de professionnel et que nous nous plaçons en lanceurs d’alerte ? Qu’avons-nous fait de si horrible pour subir toutes ces critiques et dénigrements qui visent à discréditer notre parole et notre professionnalisme ?

Pourquoi s’en prendre exclusivement à nous alors que depuis le début de ces débats sur les rythmes, ce sont les parents qui se montrent les plus inquiets et les plus déterminés à faire barrage à cette réforme dans leur commune ?

Nous avons bien compris que l’opposition des enseignants à cette réforme dérange.

Elle dérange car elle traduit une rupture entre le pouvoir socialiste et des enseignants qui sont historiquement les défenseurs de cette sensibilité politique.

Elle dérange car nous dénonçons l’intrusion de la territorialisation-décentralisation dans l’Éducation et la fin du caractère national de l’éducation.

Elle dérange car l’abandon de cette réforme emblématique du début du quinquennat serait un camouflet pour la poursuite de la politique de libéralisation de l’École.

Elle dérange tellement que certains ne se privent pas pour demander publiquement à ce que notre ministère achète notre silence en accédant à quelques-unes de nos revendications. Pratique honteuse ! Nous ne sommes ni à acheter ni les défenseurs d’un corporatisme sans fin, mais simplement des professionnels et citoyens investis.

Du coup, on entend tout et n’importe quoi, on nous abreuve de discours noyés sous les éléments de langage, sous les références de spécialistes afin de légitimer les choses.
Comment croire que la nouvelle organisation du temps scolaire serait meilleure, plus respectueuse pour les enfants-élèves tout en étant synonyme d’ouverture culturelle et sportive ? Comment croire que dans les villes où l’organisation a changé cette année, il y a eu de vraies concertations entre tous les acteurs sur les modalités de changement, sur les activités pédagogiques instaurées et sur leur contenu ?

Quatre semaines après la rentrée, la réalité n’est pas si rose et cela, nous l’avions annoncé, malheureusement…

La situation est catastrophique dans la plupart des communes et le double objectif initial (moins de fatigue et plus de culture) n’est pas atteint. Les élèves de maternelle sont très fatigués et les apprentissages sont désormais absents des après-midis. Ces élèves, qui ont, plus que les autres, besoin de repères, sont complètement perdus dans le temps et l’espace, confondant salle de cours et garderie, heure de sortie et heure de sieste…

Et que dire du contenu des APC qui se résument, dans leur très grande majorité, à du temps de jeu libre dans les cours d’école… On est bien loin de la découverte et de la pratique culturelles vendues par le MEN. Que dire aussi de ces communes démunies qui se retrouvent sans personnel (formé ou non) pour encadrer les enfants après 16h30 et qui lancent des appels à l’aide… Bref, les oiseaux de mauvais augure auraient préféré se tromper plutôt que de constater tout cela !

Mais soyons sérieux et continuons de dénoncer une réforme injuste et inefficace.

Revenons aux fondements de cette « contre-réforme » afin de construire collectivement un temps scolaire digne pour tous les élèves, les personnels et les parents. Attaquons-nous aux véritables causes de la fatigue qui ne se résument pas aux seuls horaires de classe. La CGT Éduc’Action continue d’affirmer que la fatigue vient avant tout de la surcharge des classes (imaginez par exemple 28/30 élèves de 3 ans dans une même classe). Elle vient aussi des conditions d’accueil dans ces bâtiments où l’espace manque le plus souvent, de la fatigue des personnels (à qui on allonge aujourd’hui leurs amplitudes horaires et donc cette fatigue) qui se ressent directement sur les élèves… Les causes sont aussi structurelles et sociétales avec des périodes d’enseignement trop longues, dues principalement au zonage, avec l’obligation faite de trans-mettre frontalement des programmes indigestes, avec des temps en collectivité en dehors de la maison trop longs. Les journées des enfants sont le calque de celles des parents salariés et sont donc incompressibles (départ avant 8h30 et retour après 17h30).

En l’état actuel des choses, la CGT Éduc’Action de-mande toujours l’abrogation de la réforme des rythmes Peillon et qu’une nouvelle et large concertation soit immédiatement engagée avec l’ensemble des acteurs de l’École.

- Elle considère que réfléchir aux rythmes de l’enfant ne doit pas se restreindre à discuter des heures de présence dans une salle de classe et qu’il faut aussi reconsidérer un projet de société et une organisation du temps de travail des parents.

- Elle considère qu’avant toute chose, il faut abandonner le concept de soutien et d’Activités Pédagogiques Complémentaires, considérant que son maintien biaise la discussion autour du temps de classe et du traitement de la difficulté scolaire. Confions à nouveau ce traitement de la difficulté aux RASED et aux enseignants spécialisés qui détiennent les vraies compétences. Réfléchissons à nouveau à des semaines de 26h de classe pour les élèves et favorisons la libération des pratiques pédagogiques afin de redonner de l’oxygène aux élèves et du temps qui permette une véritable ouverture au monde, à la culture et au sport, le tout au sein des programmes scolaires.

- La CGT Éduc’Action demande aussi que le temps de cours des enseignant-e-s soit de 18h. C’est l’assurance d’avoir des enseignants moins fatigués et un travail d’équipe mené collectivement dans chaque école pour le bien-être de tous (élèves, enseignants). Elle demande que toute modification des rythmes scolaires ne soit pas une régression des droits et des conditions de travail des personnels.

Comme Jacques Salvator, la CGT Éduc’Action demande aussi que l’État ait une expression claire. Il doit nous réaffirmer, à nous personnels, parents et citoyens, que ces modifications garantiront la réelle gratuité de l’école, le cadrage national de ces rythmes (gage d’équité sur l’ensemble des territoires), le caractère national de l’Éducation, de ses missions et de ses personnels.

Jérôme SINOT