Recours accentué aux emplois contractuels ou comment institutionnaliser la précarité

 

Depuis plusieurs années, dans les départements "en tension" (souvent parisiens), le recours massif aux contractuel-les est de mise, mais force est de constater que cette épidémie s’étend sur l’ensemble du territoire. Les exemples provenant de toute la France indiquent clairement que nous assistons à la généralisation de cette gestion des ressources humaines par le ministère, les rectorats et les DSDEN. Pour la CGT Éduc’action, décider de recruter des contractuel-les alors que des lauréat-es du concours sur liste complémentaires attendent un éventuel appel est un signe majeur dans l’affirmation de la précarité dans le service public d’Éducation. Dans un secteur aussi important pour l’avenir du pays, l’État fait un choix qui est principalement budgétaire au détriment de la formation. En-voyer de jeunes personnes au feu des classes, sans formation et sans soutien, est symptomatique du manque de considération dont font preuve les professionnel-les de l’enseignement. Aurait-on idée pour des raisons budgétaire de recruter des médecins contractuel-les non formé-es ? Nous rappelons qu’enseigner est un métier qui s’apprend. Celui-ci, comme d’autres d’ailleurs, exige une formation, initiale et continue.

Il y aurait déjà beaucoup à dire sur les conditions en matière de formation faites à nos jeunes col-lègues lauréat-es des concours. Mais que dire des conditions qui sont faites aux contractuel-les ? Les maitres-ses formateur-trices sont sollicité-es en urgence pour organiser une formation de trois jours avant la rentrée. On pour-rait donc apprendre le métier d’enseignant en trois jours ? Mais alors, à quoi bon planifier, pour les lauréat-es des concours une formation à l’échelle d’une an-née ?
Au delà de la précarité imposée à ces personnels contractuels, ce procédé véhicule une image méprisante du métier. Nous ferions un métier qui ne nécessiterait pas plus de trois jours de formation, et quelques jours, peut-être pendant les prochaines vacances ?

Et que dire de la fonction qu’on veut faire jouer aux maitres-ses formateur-trices ? Tout ceci est un immense gâchis.

Enfin, que dire des usagers du service public ? Élèves et familles sont tout autant méprisés que les enseignant-es dans cette affaire ? On leur fait croire que ce recrutement est un bien commun, qu’il préservera la continuité du service public d’éducation alors qu’en réalité on les prive d’enseignant-es formé-es, aidé-es et soutenu-es par le service public d’Éducation.

La seule logique gouvernementale de cette décision est bien sûr comptable car c’est disposer d’une main d’œuvre réduite pour donner l’illusion que l’institution couvre les besoins. Après avoir utilisé les stagiaires "masterisé-es" comme moyens d’enseignement, avec ces actuels recrutements massifs de personnels précaires et avec la Loi Travail, le gouvernement enfonce un nouveau coin dans le statut de la Fonction publique.

La CGT Éduc’action dénonce et condamne cette situation et se battra partout où cela se joue pour exiger le recrutement de personnels statutaires et formés et pour l’arrêt du recrutement de personnels précaires.

Elena BLOND

Tour d’horizon non-exhaustif des situations dans les départements

Un seul constat : le recours à ces personnels précaires touche les territoires urbains, mais également ruraux.

Val de Marne : 48 contractuel-les dont 3 psy scolaires, il est probable que le nombre atteigne 50

Seine Maritime : Pour le moment pas de recrutement mais de fortes probabilités dans les jours à venir.

Seine Saint Denis : il est fort probable d’être autour de 500 (445 l’année dernière)

Gironde : une annonce a été faite sur le recours possible aux contractuel-les

Haut de Seine : 160 (90 l’année dernière)

Essonne : 100 (60 l’année dernière)

Haute Garonne : 92 étudiant-es sont sur liste complémentaire, 37 ont été appelé-es, mais il reste encore une quarantaine de postes vacants à la rentrée. Le rectorat préfère faire appel aux contractuel-les

Puy de Dôme : 28 recrutements

Allier : projet de recrutement de 6 contractuel-les pour laisser partir des titulaires vers le Puy de Dôme, le rectorat a finalement reculé

Pyrénées Orientales : un tiers des psychologues de l’Éducation nationale dans le premier degré est contractuel-le.

Coup de projecteur sur l’académie de Clermont-Ferrand qui voit ce recrutement pour la première fois

Le département du Puy de Dôme est déficitaire de 37 postes. La DSDEN a alors recruté 5 listes complémentaires, nombre bien insuffisant pour combler le manque. Ils ont alors trouvé une autre technique : l’Allier va "sponsoriser" le Puy-de-Dôme en recrutant à son tour 10 listes complémentaires et en permettant à 5 PE titulaires de muter vers le puy de Dôme. CQFD !

Jusque-là le procédé parait réglo et tout le monde y trouve son compte ! Mais le compte n’y est toujours pas c’est pourquoi une vague de recrutement de 28 contractuel.les dans le Puy-de-Dôme et de 6 dans l’Allier (pour transférer 6 titulaires vers les autres départements) est lancée. Là où ça devient énorme, c’est qu’on convoque une "shadow CAPD" où les organisations siégeant en CAPD (FSU, SUD et UNSA) sont "invitées" à dresser la liste des 6 personnes susceptibles de sortir... Les organisations syndicales ont refusé de participer à cette manœuvre de l’ombre d’autant plus qu’elle reposait sur le recrutement de contractuel-les à partir de… la liste complémentaire ! Au final, il y a eu 5 refus sur 6, les listes complémentaires préférant repasser le concours…

Bel exemple de refus de la précarité !

Former des contractuel-les…
Ou le témoignage d’une contractuelle en région parisienne sur son vécu des 3 jours de formation avant d’être jetée dans la fosse aux lions.

Le matin nous sommes convoqués dans une petite salle, nous sommes entre 30 et 40, la moitié d’entre nous n’avait pas de table, seulement une chaise.

À mon arrivée, j’ai dû émarger sur un tableau dont la dernière colonne était réservée à la question du pas-sage, ou non, du CRPE.

On nous a présenté oralement l’organigramme, à grands coups de « votre directeur n’est PAS votre supérieur hiérarchique, vous êtes sous la direction de votre inspecteur »...

On nous a détaillé notre temps de travail prescrit : 24 heures devant élèves + 108 heures à l’année dont 36 heures d’APC, 6 heures de conseils d’école, 48 de travaux pédagogiques et conseils des maitres, 9 heures de formation en présentiel et 9 heures de M@gistère. D’ailleurs, lorsqu’un contractuel a voulu aborder l’épineuse question des APC, elle a répondu qu’elle y viendrait ultérieurement. Un « ultérieurement » qui s’est avéré cacher un « jamais ».

On nous a parlé des sites de ressources et de plateformes institutionnelles, tels qu’Eduscol, Canopé, Gaïa, du fonctionnement des écoles (sorties, PAI, ATSEM).
Ils ont beaucoup insisté sur le concept de laïcité, d’égalité, de neutralité, de toute la philosophie du pro-gramme.
La majorité de la matinée a été mangée par les différentes questions des contractuels (questions qui portaient très majoritairement sur des situations personnelles : « j’ai vécu ça, comment est-ce que je dois réagir ? » ; « est-ce que je dois dire à mon ATSEM telle ou telle chose ? »).

La formatrice présente a cru bon de conclure cette première journée en précisant qu’elle-même avait commencé sa carrière comme contractuelle, donc il y a finalement un avenir ?

Forcément…