La bienveillance par le ministère : faites ce que je dis, pas ce que je fais ....

 

La bienveillance éducative est un concept apparu il y a une dizaine d’années. Comme la bientraitance, elle est issue du champ du soin ou du travail social. Ainsi, dans ce cadre comme dans celui des politiques de réussite éducative, elle est fréquemment présentée comme une évolution souhaitable des attitudes éducatives et des formes d’accompagnement des personnes. Inscrite dans la continuité de postures relevant d’une « approche empathique » (Rogers) ou de la mise en œuvre d’un cadre « suffisamment bon » comme le proposait Winnicott, il s’agit alors entre autres, de laisser la place aux erreurs dans le processus éducatif. Elle vise à placer au centre de la relation adulte-élève la notion d’empathie et proscrit entre autres celle de punition.
Du point de vue de l’Éducation nationale, cela se traduit ainsi : « l’école maternelle est une école bienveillante (…) Sa mission principale est de donner envie aux enfants d’aller à l’école pour apprendre, affirmer et épanouir leur personnalité. Elle s’appuie sur un principe fondamental : tous les enfants sont capables d’apprendre et de progresser. En manifestant sa confiance à l’égard de chaque enfant, l’école maternelle l’engage à avoir confiance dans son propre pouvoir d’agir et de penser, dans sa capacité à apprendre et réussir sa scolarité et au-delà. […]. L’enseignant crée les conditions bienveillantes et sécurisantes pour que tous les enfants (même ceux qui ne s’expriment pas ou peu) prennent la parole. »
Si tout le monde s’accorde sur l’idée qu’il vaut mieux ne pas être malveillant avec de jeunes enfants, il convient de s’interroger sur une institution qui doit demander à ses salarié-e-s d’être bienveillants, bien traitants avec ses jeunes élèves. On peut affirmer que les enseignant-e-s n’ont pas attendu les prescriptions ministérielles pour se montrer bienveillants envers leurs élèves et qu’ils-elles pensent que tous les élèves sont capables d’apprendre et de progresser. Le cas contraire revient à dire que certains en seraient incapables pour des raisons diverses (médicales, sanitaires, sociales ou autres) et donc que tout serait joué avant l’École. En ce cas, celle-ci n’aurait aucun rôle.
Cette prescription nous renseigne sur l’état de l’Éducation nationale. Le ministère, donc l’État, reconnait implicitement que son École n’est pas bienveillante et que ses personnels ne le seraient pas forcément. La nouveauté réside donc dans le fait de prescrire une attitude dans les programmes et donc dans la loi et nos obligations professionnelles.
Comment la rendre possible alors ? En effet, comment l’être alors que le nombre d’élèves par classe augmente année après année ? Comment avoir, dans ce cadre contraint, la disponibilité intellectuelle pour pouvoir être complètement bienveillant ?
Comment permettre à chaque élève de progresser quelles que soient ses difficultés alors même que les enseignant-e-s (souvent esseulé-e-s) et les personnels de RASED (surchargés et débordés) n’ont pas les moyens de croiser réellement les regards autour des enfants de maternelle ? Comment assurer la sécurité matérielle et affective de jeunes enfants alors même que l’on n’est pas en mesure d’assurer la continuité du service public ? On ne peut pas séparer cette question de la nécessité des moyens pour l’École et des effectifs par classe sous peine de voir les collègues placé-e-s dans des injonctions contradictoires et de faire culpabiliser encore plus des collègues déjà fragilisé-e-s.
Pour être en mesure de consacrer du temps et de mesurer individuellement les progrès de chaque élève, il faut en premier lieu des effectifs réduits mais aussi une formation nous dotant du recul nécessaire pour analyser les difficultés des élèves. Cela impose du temps de concertation entre les collègues, plus de moyens enseignants pour permettre la mise en place de petits groupes dans une même classe pour ainsi favoriser la prise de parole de chacun et permettre le tâtonnement et l’essai.
Cela suppose également de recréer des réseaux d’enseignant-es spécialisé-es afin de pouvoir accompagner élèves et collègues face aux difficultés.
Cela interroge également sur les conditions physiques d’accueil des élèves ; combien d’écoles ne sont pas à même de répondre convenablement aux besoins physiologiques de sommeil des élèves faute de place au dortoir ou d’accueillir correctement les élèves en situation de handicap moteur faute d’aménagement ?
Cela oblige également à réfléchir sur les conditions matérielles d’accueil (taille des classes, des locaux, des espaces communs, insonorisation des locaux…), la place et le nombre suffisant d’ATSEM.
En sommant de la sorte les enseignant-e-s, l’administration se dédouane à peu de frais de sa responsabilité puisque cela relèverait de la professionnalité de chacun. Elle oublie également le sens que l’École donne à ses missions.
Une École, pour être bienveillante, doit lutter contre les inégalités sociales et faire en sorte que ceux qui n’ont que l’Ecole pour apprendre soient en mesure d’avoir un parcours scolaire indépendant de leur milieu d’origine. Pourtant, nous savons tou-tes que tel n’est pas le cas.
Pour la CGT Éduc’action, nous devons donc évidemment nous emparer du concept de bienveillance éducative, mais nous devons surtout exiger les moyens nécessaires pour le rendre opérationnel.
Fabienne CHABERT